Vision prospective de la gestion de la dépendance : Interview de Jean-Christophe Briant, directeur d'études chez Precepta

Jean-Christophe Briant, directeur d’études chez Precepta, auteur d'une étude récente sur le sujet, nous éclaire.

Publié le 06 décembre 2011

Capgeris

Vous estimez une progression importante, à l'horizon 2040, du nombre des personnes âgées dépendantes (GIR 1 à 4) :
vos estimations sont-elles à corréler aux projections de population élaborées par l'INSEE et aux études récemment parues, notamment sur le nombre des centenaires à l'horizon 2060 ?

Jean-Christophe Briant, directeur d'études chez Precepta.

Les estimations Precepta s'appuient notamment sur les projections de population de l'INSEE à l'horizon 2050 ainsi que sur les recueils de données sur les bénéficiaires et les dépenses d'APA réalisés par la DREES.

  • Quant aux nouvelles projections à l'horizon 2060, elles changent à la marge nos estimations pour deux raisons : elles constituent davantage un prolongement des projections déjà réalisées qu'un quelconque changement de tendance. A titre d'exemple, la part des 60 ans et plus à l'horizon 2040 passe de 31% sur une population totale de 69 millions de personnes dans l'ancienne projection à 31,1% pour 70,7 millions de personnes dans la nouvelle. Soit une variation d'environ +600 000 personnes âgées de 60 ans et plus pour un impact d'environ +50 000 personnes âgées dépendantes sur notre estimation « haute » (la plus probable) à l'horizon 2040 fixée initialement à un peu plus de 1,8 million d'individus ;

  • l'espérance de vie à la naissance n'est pas la principale variable d'ajustement du nombre de personnes âgées dépendantes contrairement aux simples projections de population. Ce qui compte c'est le rythme de progression de l'espérance de vie sans incapacités comparé à celui de l'espérance de vie. Si l'espérance de vie sans incapacités progresse plus vite que l'espérance de vie à la naissance, l'évolution du nombre de personnes âgées dépendantes est limitée et vice versa. C'est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont confié le pilotage de politiques spécifiques de prévention aux ARS. La prévention est un levier de croissance essentiel de l'espérance de vie sans incapacités.

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Votre étude soulève le problème du financement de la dépendance et de la solvabilisation des personnes âgées. Pensez-vous que la réforme sur le 5ème risque a des chances d'aboutir et sous quelle forme, dans le contexte de crise actuelle ?

Jean-Christophe Briant, directeur d'études chez Precepta.

La seule certitude que nous ayons aujourd'hui est qu'il n'y aura pas de « 5ème risque » ! L'idée de la création d'une 5ème branche de la sécurité sociale (ou d'un scénario « socialisant ») a rapidement été abandonnée par les pouvoirs publics puisqu'elle suppose une augmentation sensible du niveau des prélèvements obligatoires.

In fine, dans un contexte de crise économique et compte tenu de l'état des finances publiques (Etat, départements et sécurité sociale), des faibles marges de manœuvre sur les prélèvements obligatoires et de choix politiques assumés, les pouvoirs publics devraient privilégier une approche « individualisante ». Elle sera sans doute fondée sur la création d'une assurance perte d'autonomie universelle (dans le cadre d'un partenariat public-privé) se substituant à terme en partie (voire totalement ?) aux finances publiques et la promotion d'une meilleure utilisation des patrimoines (épargne, biens immobiliers) pour s'assurer contre l'aléa de la dépendance et limiter les restes à charge.

En attendant cette possible substitution qui ne manquera pas de faire débat, ils préconisent un recentrage de l'APA sur les personnes âgées les plus dépendantes et un recours « optionnel » pour les seniors en perte d'autonomie les plus aisés. Afin de soulager les financeurs publics, un léger élargissement du champ de la contribution solidarité autonomie (CSA) aux revenus des professions jusqu'alors exemptées ainsi qu'une amélioration de la progressivité des taux de contribution sociale généralisée (CSG) applicable aux pensions de retraite sont également évoqués.

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Quelles sont les solutions envisageables et qui seraient acceptables ?

Vous soulignez la non mobilisation, à ce jour, des revenus du patrimoine immobilier et financier des personnes âgées pour la prise en charge de leur dépendance. Pensez-vous que la population française est prête à ce jour à revenir sur ce que d'aucuns considèrent comme des acquis ?

Vous paraît-il possible d'éviter une « responsabilisation » accrue des personnes dans la prise en charge de leur vieillissement et de leur dépendance, compte tenu des projections de population actuelles ?

Jean-Christophe Briant, directeur d'études chez Precepta.

Un 3ème scénario dit « volontariste » semble plus équilibré. Il consiste en :

  • un élargissement des assiettes de prélèvement déjà évoqué plus haut,

  • un recentrage et une sanctuarisation (et non une substitution) de l'APA sur les personnes âgées les plus dépendantes,

  • la promotion d'une assurance dépendance à 50 ans ou de l'intégration d'une garantie dépendance aux contrats de complémentaires santé (avec ou sans obligation de souscription),

  • la promotion d'autres produits favorisant la mobilisation des patrimoines pour financer les frais liés à la perte d'autonomie (facilité la sortie de l'assurance-vie en rente viagère ainsi que la souscription d'un prêt viager hypothécaire).

Les points sensibles d'une telle réforme sont :

  • l'adoption (ou pas) et l'uniformisation de pratiques de recours sur succession pour les aides publiques sachant qu'aujourd'hui l'APA dépend avant tout du niveau de dépendance de la personne âgée puis du niveau de ses revenus (hors patrimoine) ;

  • l'obligation de souscription d'une assurance dépendance ; - la mobilisation des revenus du patrimoine, sachant que les personnes âgées et les aidants n'ont pas toujours un comportement rationnel dans ce domaine (préservation du patrimoine à tout prix).

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Pour ce qui concerne l'hébergement en structures d'accueil pour personnes âgées, l'une des solutions semble résider dans la réduction du reste à charge, notamment pour les classes moyennes en raison des difficultés financières qu'elles rencontrent.

Au-delà des exigences de plus en plus accrues des autorités de tutelle en matière d'adéquation de l'offre aux besoins réels de la population âgée et du contrôle exercé sur la tarification des établissements, pensez-vous que les projets de maisons de retraite bon marché, soient une réelle solution ?

Ne risque-t-on pas de remettre en cause la quête d'une amélioration continue de la qualité des prestations offertes aux résidents qui se situe au cœur de la réforme du secteur médico-social depuis 2002 ?

Envisagez-vous d'autres réponses à cette question cruciale de l'adéquation de l'offre aux attentes mais aussi, et surtout, aux possibilités des personnes concernées ?

Jean-Christophe Briant, directeur d'études chez Precepta.

Si l'on excepte quelques grands groupes privés à but non lucratif comme la Croix-Rouge française ou la Mutualité Française dotés de capacités d'autofinancement conséquentes, les grands groupes privés commerciaux comme DVD, Orpea, Korian ou Medica France sont aujourd'hui les seuls capables de répondre aux besoins des « classes moyennes » à moins d'envisager un plan massif d'aide au développement à destination d'opérateurs publics qui sont d'ores et déjà confrontés à des difficultés de rénovation et de maintien aux normes de l'existant.

Mais ce sont des opérateurs à but lucratif et la préservation de leurs marges est un minimum requis. Or l'essentiel de la marge de ces opérateurs provient du tarif hébergement. La question leur est posée : comment baisser ce tarif qui intègre notamment l'amortissement immobilier (de 80-90 euros à 60 euros) sans diminuer sa rentabilité.

Dans ces conditions, certains à l'image de Korian via son programme Korian Essentiel envisagent de modifier l'architecture des bâtiments en supprimant la pièce à vivre centrale.

D'autres pensent accroître la capacité d'accueil des établissements. Deux solutions relativement indolores pour les résidents dès lors que ces derniers sont de plus en plus souvent organisés en unités de vie.

Par ailleurs, ils bénéficient désormais dans le cadre de nouveaux projets ciblant des personnes âgées dépendantes de la « classe moyenne » des mêmes avantages que les acteurs publics et privés à but non lucratif (ex : mise à disposition de terrains ou de cuisines à titre gratuit). C'est l'avantage d'une procédure d'appel à projet...

Aucune dégradation des prestations de soins ou de dépendance n'est envisagée. L'assouplissement des normes (qui se sont vivement durcies ces dernières années) est en revanche une revendication des opérateurs commerciaux.


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